Dans le milieu des libraires parisiens du XVIe siècle, Guillaume Cavellat apparaît comme original par ses publications beaucoup plus spécialisées que ses confrères, avec une orientation scientifique marquée, principalement en astronomie et en mathématique.
Editer des livres scientifiques au XVIe siècle : Guillaume Cavellat
Par Joëlle DUCOS, université de Paris-Sorbonne (EA 4509 STIH)
Qui est Guillaume Cavellat ?
Un libraire parisien (1547-1576)
Installé en 1547, « à l’enseigne de la Poule grasse, devant le collège de Cambrai », il succède à Guillaume Richard, premier mari de sa femme Marie Alleaume. A la suite de la mort de celle-ci, il épouse en secondes noces Denise Girault, fille du libraire Ambroise Girault et de Denise de Marnef. Elle reprendra sa maison à sa mort en 1576, en publiant d’abord sous son nom, puis sous celui de Veuve Cavellat.
Il fait donc partie du réseau parisien des gens du livre, où les contrats de mariage permettent de renforcer des alliances et des accords, un tiers d’entre eux se faisant entre des libraires ou imprimeurs et des filles de gens de métier du livre. Ses deux mariages renforcent sa place dans le milieu des libraires-imprimeurs et ses relations avec des libraires de province. L’augmentation de sa richesse se mesure à l’extension de ses maisons, puisqu’il achète avec Jérôme de Marnef, le frère de sa femme, deux maisons rue Saint-Hilaire dont l’une à l’enseigne du Pélican, qui devient sa nouvelle marque à partir de 1564.
Sa famille
La famille de Guillaume Cavellat correspond à l’évolution des métiers du livre au XVIe siècle. De son premier mariage, il a trois fils : Pierre, Léon et Jean. Pierre Cavellat devient libraire-juré en 1577 et s’installe rue Saint-Jacques à la Fleur de lys. Sa production est peu abondante et il s’associe pour plusieurs éditions à la veuve de son père, Denise Girault et à Jérôme de Marnef. Léon Cavellat s’installe vers 1577 et épouse Jeanne Deshayes, veuve de Nicolas du Chemin, imprimeur, graveur, fondeur de caractères et libraire, spécialisé dans l’édition de la musique. Quant à Jean, il s’installe comme libraire en 1578 et se marie à Marguerite, fille de Guillaume le Bé, papetier-juré, libraire et fondeur de caractères, mais à la différence de son père et de ses frères, il est d’abord négociant en livres. Par son mariage avec Denise Girault, les relations avec son beau-frère Jérôme de Marnef s’intensifient. Ce dernier est libraire depuis 1546 et imprime avant tout des ouvrages religieux et des manuels à destination des petites classes ; son association avec Guillaume Cavellat lui permet de renforcer sa position et se poursuit avec sa veuve et ses fils après sa mort.
Les diverses marques de Guillaume Cavellat :
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Marque à la poule grasse de Guillaume Cavellat, jusqu'en 1563 / Poblacion, Juan Martinez, De usu astrolabi compendium, schematibus commodissimis illustratum, ac mendis quamplurimis repurgatum. Lutetiae : apud Guillelmum Cavellat, 1553. Exemplaire de la Bibliothèque municipale de Lyon, numérisé par Google Books.
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Marque au pélican de Guillaume Cavellat et Jérôme de Marnef, à partir de 1564 / Lagnier, Pierre, Ciceronis, ac Demosthenis Sententiae selectae. Apophthegmata ... Parisiis : Apud Hieronymum de Marnef, & Gulielmum Cavellat, 1566. Exemplaire du Centre d'Études Supérieures de la Renaissance de Tours, numérisé par le CESR.
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Marque au pélican de la Veuve Guillaume Cavellat, après 1576 / Dominique Jacquinot, L'usage de l'astrolabe, avec un petit traicté de la sphère, par Dominiq' Jacquinot... Plus est adjousté une amplification de l'usage de l'astrolabe, par Jacques Bassentin... A Paris, Chez la veufve Guillaume Cavellat, 1598. Exemplaire de la Bibliothèque municipale de Bordeaux, numérisé par Uranie .
Des relations suivies avec les milieux universitaires
Une collaboration effective avec des astronomes et des professeurs de mathématique ainsi que les titulaires de la chaire de mathématiques du Collège Royal se mesure au choix des œuvres éditées, souvent dans les versions les plus récentes, avec une recherche de textes à l’étranger et à de nouvelles entreprises de traduction et surtout un travail important sur les illustrations. Trois scientifiques sont régulièrement sollicités, Jean-Pierre de Mesmes, savant et poète [1516-1578(?)], Guillaume des Bordes, né à Bordeaux et professeur de mathématique et d’astronomie au Collège Royal, et le mathématicien Claude de Boissière, auxquels il faut ajouter Oronce Finé (mathématicien et astronome de renommée) qui l’aide pour les figures de l’Elementale cosmographicum de Borrhaus en 1551 ou Jean Magnien, à l’origine d’une traduction du second livre de l’Almageste de Ptolémée (1556). Il est ainsi révélateur que les fils d’Oronce Finé confient à G. Cavellat l’édition de plusieurs livres : Canons des communs almanachs (1556), Théorique des cieulx (1557) et De solaribus horologiis (1560).
Un libraire innovateur : l’époque de la marque de la Poule grasse
Des pratiques originales
De 1547 à 1563, les publications effectuées sous la marque de la Poule grasse se signalent par des pratiques originales :
- Le choix d’un format in octavo : format commode et des exemplaires soignés mais non luxueux, à destination des étudiants et des universitaires.
- Des textes renouvelés et corrigés régulièrement en fonction des avancées de la recherche :
- Nouvelle version du De principiis astronomiae de Gemma Frisius (1556) augmentée et modifiée par rapport à l’édition d’Anvers de 1530 et augmentée par Cavellat de deux opuscules qui accompagnaient l’édition Anvers, 1548 et d’une traduction par Claude Boissière en 1556.
- Textes d’auteurs étrangers : J. Martinez Poblacion, De usu astrolabii compendium (1553) ; Stöfler, Elucidatio astrolabii (1551) dont les figures sont revues par Guillaume des Bordes ; Martin Borrhaus dit Cellarius, Elementale cosmographicum, édité avec l’aide d’Oronce Finé
- Nouvelle génération de traités sur la sphère : Sfera del mondo d’Alessandro Piccolomini ; Cosmographia de Francesco Maurolico ; Sphère d’Oronce Fine ; Institutions astronomiques de J.P. De Mesmes.
- Des illustrations corrigées et amendées par des spécialistes du domaine, pratique rare à cette époque :
- De solaribus horologiis d’Oronce Finé (1560) : avis du libraire au lecteur sur la réduction des figures effectuées par Guillaume Des Bordes.
- Usage de l’astrolabe de Jacquinot (1553), correction des erreurs de l’édition par Barbé en 1545 et utilisation des figures de son édition de l’Elucidatio astrolabii de Stöfler (1553) ; correction en 1573.
Ici, une réédition de 1598 numérisée. L'avis de l’imprimeur reste celui de Guillaume Cavellat et est réimprimé sans modification par sa veuve :
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- Une publication de manuels pratiques avec en particulier des livres sur les astrolabes. Ci-dessous, quelques illustrations de la même réédition de l'Usage de l'astrolabe de Jacquinot en 1598.
- Une politique de contrôle de sa production et une commercialisation adaptée aux programmes universitaires :
Sa production de livres, qui dépendait largement des programmes universitaires, est originale non seulement par sa spécialisation, mais aussi par sa méthode d’impression : les œuvres majeures au programme (l'Almageste par exemple) étaient vraisemblablement stockées, et étaient vendues avec une page de titre qui n'était datée qu'au moment de la commercialisation, d'où des dates différentes d'édition pour le même livre, voire des exemplaires sans date.
Ex : Ptolémée, Almageste, 1556 avec trois millésimes (1556, 1557, 1560) Oronce Fine, De solaribus horologiis : exemplaires sans date ou datés (1558, 1560, 1561).
Après 1563 et jusqu'à sa mort, Guillaume Cavellat s'associe avec l'oncle de sa seconde femme, Jérôme de Marnef. La production se diversifie, mais n'a plus son caractère scientifique aussi marqué. Les livres sont désormais imprimés avec la marque du Pélican.
Une production conséquente
Elle est importante pour l’époque, puisqu’on connaît 150 éditions sous la marque de la Poule grasse, avec 75 éditions de mathématique, d'astronomie et de cosmographie, 18 de florilèges et recueils, 18 de religion, 7 d'histoire, 7 de médecine, 6 de morale et de philosophie, 4 de droit et 2 d'architecture.
Cette orientation de sa production vers des œuvres de l’enseignement universitaire est volontaire et explicite dans les avis au lecteur qui apparaissent dans certains de ses livres : Johann Stöffler, Elucidatio fabricae ususque astrolabii, 1553. Poblacion, De usu astrolabi compendium, 1550.
Editions notables
1550 : traduction française par Jacques Goupil de la Sfera del mondo d'Alessandro Piccolomini ; Köbel, Astrolabii declaratio ; Apian, Cosmographiae introductio.
1551 : Borrhaus dit Cellarius, Elementale cosmographicum
1553 : Stöfler, Elucidatio astrolabii ; Poblacion, De usu astrolabii. Avec commentaires sur la fabrication du livre
1556 : Oronce Fine, Canons des communs almanachs
1557 : Annuli astronomici usis ex variis authoribus ; Oronce Fine, Théorique des cieulx ; Psellos, édité par E. Vinet qui remplace la dernière partie par la traduction de la Sphère de Proclus
1558 : Francesco Maurolico, Cosmographia
1560 : Traduction par J.P. De Mesmes de Stöfler, Elucidatio astrolabii, Oronce Fine, De solaribus Horologiis
Quelques exemplaires bordelais publiés par Guillaume Cavellat
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Ses successeurs et leur politique éditoriale : La veuve Cavellat et Jérôme de Marnef
A la mort de Guillaume Cavellat, son épouse reprend la maison et poursuit l’association avec son oncle Jérôme de Marnef (1577-1596), en continuant les publications, d’abord sous le nom de son mari, mais sans un travail éditorial et scientifique aussi poussé. La diversification du fonds, censée augmenter l’importance de la production, n’aboutit pas à ce résultat et à partir du XVIIe siècle, la librairie Cavellat a perdu de son importance.
- Publication sous le nom G. Cavellat après sa mort
- Publication veuve Cavellat : par exemple Dominique Jacquinot, L’usage de l’astrolabe, texte publié par G. Cavellat en 1573 et publié à nouveau en 1598 par sa veuve et Oronce Finé, La theoriqve des cievx et sept planetes, 1607.
- Publication veuve Cavellat et J. de Marnef : Sacrobosco, Sphaera, 1577 et 1584, avec une épitre d’Elie Vinet ; Frisius Gemma, Les principes d’astronomie et cosmographie avec l’usage du globe, 1582.
- Publication Léon Cavellat : son fils Léon a également édité des textes scientifiques : citons, à titre d’exemple, Dominique Reullin, médecin bordelais, Chirurgie, 1579.
Quelques exemplaires bordelais publiés par Jérôme de Marnef et la veuve Cavellat
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Ci-dessous quelques illustrations tirées des Traités de la sphère de Jean de Sacrobosco, éditions 1577 et 1584 :
Pour en savoir plus
- Imprimeurs et libraires parisiens du XVIe siècle : Fascicule Cavellat, éd. I. Pantin, Paris, Bibliothèque nationale, 1986.
- Isabelle Pantin, « Les problèmes de l’édition des livres scientifiques : l’exemple de Guillaume Cavellat », Le livre dans l’Europe de la Renaissance, Actes du XXVIIIe colloque international d’Etudes humanistes de Tours, Paris.
- A. Parent, Les métiers du livre à Paris au XVIe siècle (1535-1560), Genève-Droz, 1974.